La chute des anges rebelles, vidéo à 360 °, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

Regardons de plus près le chef-d’œuvre, La chute des anges rebelles (1562) Gigapixel, de Pieter Bruegel l’Ancien, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Une expérience immersive qui vous permet d’explorer la chute des anges rebelles (1562) comme jamais auparavant. Détail par détail, la peinture s’anime sous vos yeux: mêlez-vous aux créatures de Bruegel.

Avant-propos
La chute des anges rebelles de Pieter Bruegel l’Ancien est l’un des chefs-d’œuvre des musées royaux des beaux-arts de Belgique.

La peinture fut achetée par les musées royaux en 1846, pensant que c’était l’œuvre de son fils, Pieter Brueghel le Jeune.

L’œuvre a ensuite été attribuée à Jérôme Bosch (1450-1516) jusqu’en 1898, date à laquelle la date et la signature « MDLXII / Brvegel » ont été retrouvées dans le coin inférieur gauche, masquées par le cadre.

Ainsi, le tableau fut finalement attribué à son créateur légitime, Bruegel l’Ancien.

Chapitre 1.
Iconographie et composition
« Et il y avait la guerre au paradis … »

Le travail détaille la première confrontation entre le bien et le mal, même avant la chute de l’homme, lorsque l’ange le plus puissant, Lucifer (ou « porteur de la lumière ») se tourne vers l’autorité divine. Après cela, il est chassé du ciel par l’archange Michel sur l’ordre de Dieu, entraînant la chute des autres anges rebelles.

Quand ils tombent, les anges rebelles sont transformés en démons et condamnés aux ténèbres.

La surface de la peinture est divisée horizontalement en deux moitiés à peu près égales: le ciel occupe la partie supérieure de l’œuvre, tandis que l’enfer est représenté ci-dessous.

Les teintes claires du ciel contrastent avec les riches tons sombres de l’enfer, où se mêlent ocres et tons chauds de marron.

La composition dans son ensemble, tant par le sujet que par les choix artistiques du peintre, renforce l’idée de la lutte entre le bien et le mal, thème récurrent dans les œuvres de Bruegel l’Ancien.

Au centre de cette composition dramatique et tumultueuse figure l’Archange Michael. Les ailes déployées et portant une armure dorée brillante, son visage est une image de calme tandis que sa cape, comme suspendue dans les airs, forme un magnifique drapé.

Il tient un bouclier sur lequel on peut distinguer une croix latine rouge sur fond blanc, symbole de la résurrection.

Le pied droit de l’archange repose sur le ventre du monstre à sept têtes décrit dans Apocalypse (12: 7-23), ce qui lui confère un moment de stabilité relative.

Tine L. Meganck, chercheur postdoctoral aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, lit le passage sur la lutte entre Michael et le dragon, tiré de l’Apocalypse:

« Et il y eut une guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent contre le dragon. Et le dragon se battit avec ses anges sans l’emporter. Leur place ne fut plus trouvée dans les cieux. Et le grand dragon fut chassé, ce vieux serpent, appelé le diable et Satan, qui trompe le monde entier: il a été jeté sur la terre, et ses anges ont été chassés avec lui.  »
(Apocalypse 12: 7)

La présence de ce monstre apocalyptique montre l’originalité de Bruegel qui réunit deux récits bibliques, l’un datant du début des temps et l’autre de la fin.

Au fil des siècles, les histoires de Lucifer et du monstre apocalyptique ont été fusionnées.
Cette ambiguïté iconographique n’est pas une coïncidence puisque Bruegel, en se référant à ces deux histoires, montre l’omniprésence de la lutte entre le bien et le mal, et l’un de ses éléments essentiels, la fierté.

Dans cette peinture, Bruegel allie le temps et l’espace en une seule et même image.

Saint Michael, brandissant son épée au-dessus de sa tête, tue le dragon apocalyptique avant de le lancer, lui et les anges déchus, au plus profond de l’enfer.

Le mouvement tordu du dragon, le ventre au ciel et les sept têtes rejetées en arrière, laisse déjà deviner ce qui va arriver.

À l’arrière-plan, une spirale infernale de personnes démoniaques se déverse.

Chapitre 2
Les sources d’inspiration de Bruegel

1. Références aux travaux de Jérôme Bosch
Lucifer et le dragon sont accompagnés d’anges rebelles qui, en tombant, se transforment en démons et autres monstres hybrides présentant des particularités boschèques, tels que la figure avec le chapeau à droite de l’archange Michel.

L’artiste a également laissé de nombreuses allusions humoristiques dans son travail.

En particulier, dans le coin inférieur gauche, juste au-dessus de la signature de Bruegel.
Nous pouvons voir ici un diable, mi-humain, mi-lézard, la tête baissée pour mordre le mollet et montrant son arrière-train au spectateur, un signe de mépris.

2. Le nouveau monde et la culture des cabinets de curiosités
Les liens tangibles avec le Nouveau Monde abondent dans les travaux de Bruegel.

Les explorations du continent américain sont devenues de plus en plus fréquentes au cours du XVIe siècle et la faune, la flore et les peuples autochtones du Nouveau continent ont fait l’objet d’observations détaillées, enregistrées et rapportées par les premiers explorateurs. De nombreux cahiers illustrés de botanique, de zoologie et même de cartographie ont été publiés.

Ce penchant pour le nouveau monde a également entraîné une hausse significative du commerce, pour laquelle le port d’Anvers allait devenir un des épicentres. Sous le règne de Charles Quint, les villes étaient l’un des centres financiers les plus importants du capitalisme émergent et de la nouvelle économie mondiale.

La découverte de continents lointains et de cultures anciennes a créé une vague de nouvelles connaissances.

De nombreuses œuvres d’histoire naturelle et des séries d’estampes détaillant ces découvertes et connaissances nouvelles étaient en circulation dans la seconde moitié du XVIe siècle, démontrant ainsi le souhait de créer une forme d’encyclopédie. L’expression la plus frappante de cette volonté de cataloguer les connaissances est l’apparition de cabinets de curiosités. Ces armoires constituaient un moyen de constituer des structures qui donnaient une classification relative des « objets du monde ».

La plupart des collectionneurs de l’époque ont distingué ce qui était artificiel, appelé artificalia, de ce qui a été créé par la nature, naturalia.
Cette division binaire de l’Art contre la Nature, qui trouve ses racines dans la philosophie ancienne, est également présentée dans la toile de Bruegel. L’artiste « a rempli » sa composition en tant que collectionneur aurait rempli un cabinet de curiosités.

“Naturalia”
Les anges déchus de Bruegel sont constitués de différents éléments naturels ou naturalia (objets fabriqués par la nature).

Leur apparence naturaliste implique une étude détaillée du monde visible, comme s’il les avait observés dans des cabinets de curiosités. Prenez, par exemple, la figure centrale, juste en dessous du pied droit de Michael, dont les ailes ornées de motifs jaunes et jaunes sont incontestablement celles d’un papillon Machaon (Papilio machaon) – une espèce de papillon particulièrement belle qui vit sur les continents européen et américain. Ses cheveux doux, ressemblant à un ange, son corps en forme de fraise évoquant une douce douceur et sa queue de fleur exotique en font l’un des démons les plus séduisants de ce chef-d’œuvre.

Il n’est pas étonnant qu’en sa qualité d’observateur attentif du monde qui l’entoure, Bruegel ait utilisé d’autres animaux rares du Nouveau Monde lors de sa chute des anges rebelles.

Les animaux exotiques étaient particulièrement prisés par les collectionneurs. En raison de leur rareté et de leur méconnaissance, ils étaient souvent perçus comme monstrueux. Ainsi, la carapace de tatou (de la famille Cingulata), avec ses plaques osseuses classiques et sa queue côtelée, se transforme en lourde armure métallique à mesure qu’elle s’enfonce plus profondément dans l’ombre.

Le tatou, qui ne vit que sur le continent américain, était une véritable source de curiosité pour les contemporains de Bruegel. Cependant, des gravures et autres illustrations dont Bruegel aurait certainement entendu parler faisaient déjà l’apparition de cet animal exotique connu en Europe.

La présence de cette créature suggère que Bruegel était au courant des descriptions des premiers explorateurs du continent américain.

Le fait que Bruegel associe le tatou à une représentation démoniaque dans cette œuvre est caractéristique d’une perception particulière du Nouveau Monde.

Parmi les naturalia, Bruegel utilise également des parties identifiables de crustacés, mollusques et poissons, qu’il combine parfois et se reproduit parfois telles qu’elles sont, comme dans le cas du poisson de mer (Tetraodontiformes de la famille des tétraodontidés) représenté en haut à droite). coin des mains.

Ce poisson exotique des océans Pacifique et Indien est reconnaissable à ses dents proéminentes, à ses épines et, surtout, au fait qu’il remplit son abdomen d’eau quand il est menacé. Il est compréhensible qu’il se trouve sous l’épée d’un des anges combattant aux côtés de l’archange Michel.

« Artificielle »
Ces créatures monstrueuses sont composées non seulement de naturalia, mais également de artificialia (objets fabriqués par l’homme).

La représentation détaillée montre la connaissance approfondie de l’artiste sur ce type d’objet de collection. Il dote divers anges déchus d’attributs artificiels tels que des instruments scientifiques ou musicaux, des armes et armures, des objets ethnographiques et même des œuvres d’art.

L’un d’eux, par exemple, est équipé d’une sorte de cuirasse faite d’un cadran solaire. Les deux parties de l’armure sont reliées par un bracelet en cuir.

Ce type d’horloge portable était généralement fabriqué à partir d’ivoire et était très prisé des collectionneurs en raison de sa nature précieuse. La boussole au milieu, composée d’une aiguille et d’une plaque de bronze, est incrustée dans l’ivoire. Il indique l’heure en fonction de la position du soleil.

Bruegel a porté son attention sur les détails jusqu’à peindre les différentes inscriptions sur le cadran solaire en rouge et noir. Les autres cercles représentent les signes du zodiaque qui figurent souvent sur ce type d’instrument. Orienté ainsi, le cadran solaire prend un sens très particulier: il rappelle l’omniprésence de la lutte entre le bien et le mal, faisant écho à la fusion des deux histoires, l’une depuis le début et l’autre depuis la fin des temps. L’instrument rappelle en outre au spectateur d’utiliser son temps sur terre à bon escient.

Ce type de cadran solaire était également considéré comme un instrument de mesure capable de corriger le chaos terrestre et de mieux synchroniser les personnes avec la régularité de l’univers. En transposant le cadran solaire sur le dos de cet ange déchu, Bruegel semble traiter ces idées avec une certaine ironie.

L’inventaire presque exhaustif des armes et des armures détaillé ici par Bruegel donne à sa chute des anges rebelles une qualité unique.

Ces artefacts constituent une part importante des premières collections modernes, en particulier des collections royales.

Au-delà de l’armure brillante de l’Archange Michael, la composition regorge d’exemples, y compris certains de la culture ottomane, qui montrent une nouvelle fois la connaissance précise de l’artiste sur ce type d’artefact.

Parmi les artificialia, il est également possible de distinguer un turban ornant la tête de l’un des monstres.

La présence d’un tel article évoque une référence au Portrait d’un homme (1433) de Jan Van Eyck (1390-1441), qui se tient maintenant à la National Gallery de Londres.

Sur le dos d’un diable presque nu avec une tête de cheveux roux flamboyants dirigée vers le bas, il est possible de distinguer des plumes rouges et blanches.

On pense que ces plumes font référence à la représentation de la culture amérindienne qui a commencé à se répandre à travers l’Europe à cette époque.

Ce détail fait écho à l’idée que les gens avaient de ces peuples à l’époque – vivant généralement nus dans des huttes et parfois même avec une morale cannibale. Il n’est donc pas surprenant que Bruegel ait placé ces références dans la partie démoniaque de sa composition.

Sur un fond bleu clair céleste, les anges fidèles apparaissent vêtus de blanc. Ils sont armés d’épées ou de trompettes divines dont la musique a pour but d’encourager les combattants.

Loin de là, des anges proclament déjà la victoire avec leurs cornes, suggérant un résultat positif de la bataille.

chapitre 3
Vers une interprétation politique

La myriade de têtes pointées vers le bas, les jambes en l’air, les oiseaux qui tombent du ciel et les poissons qui volent font de La chute des anges rebelles peut-être la représentation la plus littérale par Bruegel d’un monde en ébullition.

Avec les anges purs qui se transforment en une variété de monstres les plus inimaginables, Bruegel montre clairement les conséquences infernales du non-respect de l’ordre établi. Pour certains, ce travail témoigne de l’attention que Bruegel a portée aux bouleversements de son époque. On peut même penser à préfigurer le bouleversement politique et religieux qui menaçait les Pays-Bas à cette époque.

À l’époque, Marguerite de Parme était la régente des Pays-Bas. Elle était conseillée par le puissant cardinal de Granvelle. L’histoire se souvient de Granvelle comme d’un politicien détesté, mais il était également un grand mécène, accueillant des artistes dans son palais et un grand collectionneur d’artificialia et de naturalia, le type d’enthousiasme que Bruegel ciblait. Il possédait au moins une autre œuvre de Bruegel. En 1561, Granvelle fut nommé archevêque de Malines. Cette position a mené à une lutte de pouvoir avec la noblesse locale, y compris le jeune Guillaume d’Orange. Même si Orange n’était pas un grand collectionneur, il avait hérité d’une des œuvres du maître flamand, qui faisait l’objet d’une grande envie: Le Jardin des délices de Hieronymus Bosch. C’est l’une de ces peintures que Bruegel a tenté de surpasser dans La chute des anges rebelles.

En 1562, Orange fait de son palais de Bruxelles la patrie de la « Ligue contre Granvelle ». Quant à Granvelle, il a signalé la désobéissance croissante d’Orange au roi. On peut déduire d’un spectacle théâtral organisé la même année que la population a également estimé que les tensions étaient à leur maximum. Des rhétoriciens de Bruxelles ont organisé un concours sur le thème « Comment maintenir la paix dans ces pays ». Différents participants ont mentionné la désobéissance de Lucifer comme un exemple négatif. l’orgueil conduisait à la discorde et au désordre qui menaçaient la paix. Bruegel connaissait bien la culture des rhétoriciens et des collectionneurs de la cour. Nous pouvons donc poser la question de savoir si, en émulant Bosch – en particulier avec Le jardin des délices terrestres d’Orange ‘

Dans l’œuvre de Bruegel, les représentations d’un monde conduit à l’apocalypse par la folie des hommes étaient vraiment visionnaires, car en 1562, les Pays-Bas n’avaient pas encore vu le véritable désastre de la guerre.

Avec les événements qui ne suivraient que quatre ans plus tard, avec le déclenchement de la crise iconoclaste de 1566 et la rébellion suivante, l’avertissement peint par Bruegel – l’orgueil précédant une chute – devint une réalité douloureuse.

Conclusion
Les sources d’inspiration de Bruegel témoignent de sa connaissance précise et approfondie des créations artistiques et du monde qui l’entoure. Intégré dans une histoire de fierté, son chef-d’œuvre invite le spectateur à réfléchir aux possibilités et aux dangers de la quête de savoir et d’art de l’humanité – un thème particulièrement attrayant pour les collectionneurs érudits de l’époque, qui a sans doute perdu de son impact au fil des siècles.

Musées royaux des beaux-arts de Belgique
Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique sont un groupe de musées d’art situés à Bruxelles, en Belgique. Ils comprennent six musées: le musée Oldmasters, précédemment appelé « Musée royal de l’art ancien »; le musée Magritte; le musée Wiertz; le musée Meunier; le musée de la fin du siècle; le musée d’art moderne.

Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique conservent la plus importante collection d’arts visuels de Belgique. À travers des peintures, des sculptures ou des dessins, les 20 000 œuvres et six musées illustrent notre histoire, du 15ème au 21ème siècle. Les anciens maîtres, les musées Magritte, Fin-de-Siècle, modernes (sélection) ainsi que les home-studios Wiertz et Meunier constituent un patrimoine culturel unique qui explore aussi l’avenir, fonctionnant comme une plate-forme de réflexion sociétale sur la construction de notre identités contemporaines.