Retour d’Angola, Musée d’Ethnographie de Neuchâtel

Avec Retour d’Angola, l’équipe MEN revient sur un épisode clé de l’histoire de l’institution: la 2e Mission scientifique suisse en Angola (MSSA), dirigée par des chercheurs neuchâtelois de 1932 à 1933 et qui a fourni au Musée un grande partie de ses collections africaines.

En s’intéressant particulièrement à Théodore Delachaux (1879-1949), artiste, collectionneur, scientifique, membre de l’expédition et conservateur du Musée d’Ethnographie de 1921 à 1945, ses «suiveurs» remettent également en cause le but de la mission en tant que les enjeux actuels liés à l’étude et à la conservation des matériaux collectés.

Du champ aux réserves, entre objets «vedettes» et collections à peine déballées, les paradoxes de la pratique ethnographique et muséale sont esquissés et les débats consacrés aux moyens nécessaires pour assumer le patrimoine refont surface.

Un tel examen du passé nécessite une approche critique, car il ne s’agit pas d’approuver naïvement les catégories de pensée en vigueur à l’époque, mais aussi de reculer, car il ne s’agit pas non plus de juger les prédécesseurs de l’époque contemporaine. postures intellectuelles. Le dispositif choisi met en évidence les singularités et les différences de sensibilité entre hier et aujourd’hui à partir des matériaux produits par les participants à la Mission eux-mêmes, la scénographie apportant un regard critique de manière non péremptoire et le visiteur devenant le filtre à partir duquel le passé peut être à la fois compris et mis en perspective.

Retour d’Angola offre également à l’équipe MEN l’opportunité de découvrir un ensemble d’objets et de photographies uniques au monde, dont la plupart n’ont pas été montrés au public depuis les années 40 et d’inaugurer un nouveau type d’exposition temporaire de longue durée dédiée à présentant les collections du Musée.

Formation
Le premier espace évoque les multiples facettes de Théodore Delachaux, conservateur du MEN de 1921 à 1945 et exprime ainsi une certaine qualité du regard qu’il apportera ensuite au peuple et aux choses de l’Angola.

Toile de fond de l’exercice, son intérêt pour les sciences naturelles, évoqué en clair par le papier peint et le dessin du ver Polychete d’eau douce (Troglochaetus beranecki) qu’il a découvert et dessiné en 1919, et plus implicitement parce que l’omniprésence des sciences naturelles dans l’exposition .

Théodore Delachaux avait dix ans lorsqu’il a publié ses premiers panneaux d’étude du plancton et a mis fin à sa carrière en tant que directeur du Musée d’histoire naturelle. Entre ces deux moments, il a développé une vision de l’art et de l’ethnographie inséparables du paradigme naturaliste, dont il a fait le centre de son processus de recherche.

Aux quatre coins de l’espace se trouve l’évocation du folkloriste intuitif qui, dès son plus jeune âge, constitue une collection de jouets et d’artisanat paysan, affirmant une profonde sensibilité aux questions et méthodes ethnographiques. Apparaît également le scientifique méthodique qui s’attaque au premier catalogage systématique des collections du Musée et investit dans la recherche et l’enseignement en archéologie.

Au-delà du naturaliste et de l’ethnographe, l’espace évoque également l’artiste polyvalent qui suit l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, enseigne le dessin, pratique la peinture, cofonde une école d’art privée, ouvre une galerie et crée des vitraux pour la collégiale église de Neuchâtel.

Départ
Le deuxième espace aborde les préparatifs de l’expédition et les motivations de l’ethnographe avant de partir sur le « terrain » qu’Albert Monard (1886-1952), conservateur du Muséum d’histoire naturelle de La Chaux-de-Fonds et Charles Emile Thiébaud ( 1910-1995), géologue, effectue déjà des levés depuis plusieurs mois.

La scénographie est essentiellement construite à partir des notes manuscrites de Théodore Delachaux: listes d’objets à emporter, références bibliographiques, discours préparatoire et liste d’activités à retenir tentent d’exprimer la tension qui précède tout saut dans l’inconnu.

A travers les couches de notes, les motivations de l’ethnographe se développent brièvement: combler certaines lacunes dans les collections, pratiquer une ethnographie de sauvetage, investir dans un territoire peu connu, transmettre un patrimoine aux générations futures sont les principaux vecteurs d’une réflexion qui est sans doute un peu daté mais qui constitue néanmoins un savoir et un patrimoine à repenser. En arrière-plan apparaissent également quelques images de la 1ère MSSA (1928-1929) qui, s’il s’agissait principalement d’une partie de chasse, offraient néanmoins une matrice à partir de laquelle on pensait ce qui suit.

Sur le terrain
Dans leurs bagages, les membres de la 2 ème MSSA portent également deux caméras. Près de 2500 photos prises par Charles Emile Thiébaud et Théodore Delachaux viennent ainsi compléter la collection d’objets, documenter le voyage et témoigner de la vision portée par les deux chercheurs sur les populations rencontrées. Qu’il s’agisse de scènes de chasse, de scarifications, de parures ou d’ornements féminins, leur point de vue fait partie de la production iconographique de l’époque et illustre aujourd’hui, aux côtés d’un monde révolu, certaines traversées ou limites de leur approche.

La troisième salle de l’exposition mobilise ce riche patrimoine photographique pour évoquer le «terrain», soulignant à la fois le choc de la rencontre, le poids de la collection, la polysémie du cadre ethnographique et les ambiguïtés propres à ce type de recherche. Les récits de voyage proposés en légende révèlent le contexte intellectuel d’appréhension de l’autre et rappellent que la présence coloniale du Portugal influence et facilite la mission de Neuchâtel.

À première vue, une vingtaine de photos soulignent la qualité picturale et analytique du travail réalisé par Théodore Delachaux et indiquent par leur mise en scène soignée la tendance actuelle à la thésaurisation de tels documents. Un dispositif scénographique brouille cette lecture et révèle que les images présentées font partie d’un ensemble plus large où la répétition de certains clichés laisse entrevoir l’obsession classificatoire et typologique caractéristique du paradigme naturaliste.

Le grand déballage
Le dernier espace présente le retour de l’Angola proprement dit, à savoir le processus qui, du déballage à l’étude, la restauration et la valorisation des objets, conduit finalement à remettre en cause le sens profond de l’expédition. La 2e MSSA fait partie des missions de collecte qui traversent différentes parties de l’Afrique au cours des années 1930. La collection d’objets répertoriés sur le terrain représente alors le fondement de l’approche ethnographique. Les pièces sélectionnées sont destinées à augmenter le fonds documentaire des musées, axé à l’époque sur l’étude des séries et des typologies d’objets.

Présentés en vitrines ou en coffret, puis stockés en réserves, ces 3500 numéros d’inventaire constituent aujourd’hui une collection majeure des collections MEN. Après Théodore Delachaux, de nouvelles possibilités d’exploitation scientifique émergent et des solutions sont déployées pour faire face aux problèmes de conservation et d’inventaire. Ici comme ailleurs, la démarche muséale ne s’arrête pas au gel des objets rapportés mais développe un nouveau type de rapport à un patrimoine dont la propriété et la responsabilité sont constamment à repenser et à redéfinir.

Ce n’est pas le mien
La visite se termine par un questionnement sur la nature des collections rapportées par Théodore Delachaux et conduit à une réflexion plus générale sur le patrimoine ethnographique, dont Retour d’Angola ne devrait pas être l’aboutissement mais le déclencheur.

Combler ces lacunes qui obsédaient tant Théodore Delachaux et ses prédécesseurs? Quels liens entretiennent-ils avec les populations qui les ont vendus? Auraient-ils perdu en entrant au Musée la dimension immatérielle qui en faisait de véritables objets de savoir sur leur terre? S’agit-il, comme on l’entend parfois le dire, de «l’héritage d’autrui» ou l’expression n’est-elle qu’un moyen facile de se référer à d’anciens propriétaires disparus depuis longtemps? Leur valeur marchande continuera-t-elle de grimper avec la rareté des collections du même type?

Et que faire de cette réponse, donnée plusieurs fois à Théodore Delachaux alors qu’il cherchait un objet précieux: « Je ne peux pas le vendre, ce n’est pas le mien »? N’est-ce pas fondamentalement l’essence de tout patrimoine de ne pas appartenir à quiconque tout en étant celui de tout le monde? Et le fondement du contrat patrimonial ne consisterait-il pas à rester disponible et ouvert face à de nouvelles situations de dialogue entre les cultures concernées? ce n’est pas le mien « ? N’est-ce pas fondamentalement l’essence de tout patrimoine de ne pas appartenir à quiconque tout en étant celui de tout le monde?

Musée d’ethnographie de Neuchâtel
Contribue au développement de musées ouverts à la vie quotidienne. Largement reconnues comme innovantes, stimulantes, voire provocantes, ses expositions offrent aux visiteurs une réflexion originale autour d’un thème intimement lié à l’actualité et mis en perspective par un regard à la fois impliqué et éloigné de l’ethnologie. Ils réunissent ici et ailleurs, le prestigieux et le banal, l’artisanal et l’industriel autant de signes d’une réalité complexe et culturellement orientée.

Dans un tel cadre, les objets ne sont pas exposés pour eux-mêmes mais parce qu’ils s’inscrivent dans un discours, car ils deviennent les arguments d’une histoire qui met l’une ou l’autre de leurs caractéristiques, qu’elles soient esthétiques, fonctionnelles ou symboliques. Parfois qualifiée de critique ou de déstabilisatrice, une telle approche vise à permettre aux visiteurs de relativiser leurs perceptions, de déconstruire leurs savoirs et de questionner leurs certitudes afin de les amener à repenser leur réalité.

L’histoire des collections du Musée d’Ethnographie de Neuchâtel (MEN) remonte au XVIIIe siècle, les premières pièces provenant du Cabinet d’Histoire Naturelle du Général Charles Daniel de Meuron données à la Ville en 1795. Après plusieurs déménagements et partages, le fonds ethnographique fut transféré sur la colline de Saint-Nicolas dans la villa offerte par James-Ferdinand de Pury pour y installer le MEN, inaugurée le 14 juillet 1904. En 1954-55 fut construit un bâtiment destiné aux expositions temporaires, décoré pour au nord d’une fresque de Hans Erni Les conquêtes de l’homme. En 1986, une nouvelle construction a été insérée entre les deux précédentes pour permettre l’extension de l’Institut d’Ethnologie de l’Université.

Financièrement distinctes, les deux institutions sont néanmoins complémentaires. Ils partagent la même bibliothèque et s’engagent parfois dans des coentreprises. Aujourd’hui, le MEN abrite quelque 30 000 objets, dont plus de la moitié sont représentés par des collections africaines: Afrique de l’Est et du Sud; L’Angola dans les années 30; Sahara et Sahel (Touaregs et Maures); Gabon. Il conserve également des collections asiatiques, esquimaudes et océaniques, des instruments de musique extra-européens et des pièces de l’Égypte ancienne.