Capitalisme de la Renaissance de l’Europe du Nord

La Renaissance, qui s’étend de l’Italie à l’Europe du Nord, est un phénomène qui, contrairement au contexte italien, n’a pas tant de sens artistique qu’économique, si bien que les historiens parlent du capitalisme de la Renaissance européenne du Nord.

« La Renaissance du Nord est loin d’être une simple imitation de l’Italie, sans quoi ce serait un phénomène très superficiel sans grande portée, l’essentiel étant qu’au moment où elle accepte l’italien, Renaissance, il traverse, complètement indépendamment de l’Italie, une crise de transformation sociale et économique […] La grande nouveauté qui est apparue alors était le capitalisme.  »

La liberté de devenir riche
Jusqu’en 1400, les grandes entreprises et les grandes banques n’existaient pas dans le nord de l’Italie. Ils étaient les capitalistes de certaines familles italiennes puissantes qui dominaient le marché des affaires et influencé la politique des princes et des souverains.

Les premières banques, signe évident d’une nouvelle mentalité, étaient italiennes (Banco di San Giorgio de Gênes en 1407, Monte dei Paschi di Siena en 1472 est né comme un type avancé de Monti di Pietà.) À partir de la seconde moitié du XVe siècle , quand ils apparaissent en Flandre, en France, en Angleterre, dans les villes du sud des Allemands « d’hommes nouveaux » qui ont à leur disposition une capitale d’origine douteuse qui veulent investir pour s’enrichir. Ils ne sont pas les descendants de riches les familles qui ont accumulé de la richesse mais les hommes qui ont de nouvelles ressources: leur intelligence et leur ouverture d’esprit.

Un exemple typique de la nouvelle mentalité en dehors de l’Italie est la naissance en Allemagne de sa plus ancienne banque, fondée en 1590, la Berenberg Bank de Hambourg, une activité commerciale et marchande exquise. Les Berenberg étaient l’une des premières familles qui constituaient la classe dirigeante de la ville libre de Hambourg. Les premières familles signifiaient les descendants du premier Großbürger qui étaient subordonnés seulement directement à l’empereur. Ce groupe de personnes comprenait, outre Großburger (le plus haut représentant), des maires, des sénateurs et des grands prêtres. Il a été appelé le groupe hanséatique pour mettre en évidence le sens de la collégialité (hansa = groupe).

Suivant l’exemple des Berenberg, des banques ont été établies aux Pays-Bas (1614), en Suède (1668), en Angleterre (1672), en Écosse (1695) en quelques décennies. Les banquiers descendaient indifféremment des riches familles terriennes, des aventuriers militaires ou enrichis, il suffisait qu’ils soient intelligents et suffisamment impitoyables.

De la Renaissance qui s’étend de l’Europe à l’Europe, ils capturent la valeur prééminente: la «liberté naturelle» de l’homme désormais libéré des liens de la religion, de l’homme conscient de sa «modernité», qui vit dans une dimension non plus verticale, mais horizontale: dans la nature qui leur est offerte comme terre de nouvelles découvertes, de conquêtes, de voyages au delà des Piliers d’Hercule. Ils voudraient établir leurs manufactures où le centre de commerce est, de production: dans les villes où prospèrent les bourgeois dans les arts, dans les guildes commerciales qui fixent les salaires fixés par la loi, la qualité de la production, les règles du commerce . Les nouveaux venus veulent produire à leur guise, au nom de la «vraie liberté», comme on dit, non pas la liberté réglée par mille lacets destinés à maintenir les privilèges de la bourgeoisie. Ces intrus, qui veulent briser le monopole des arts, seront donc éloignés des villes, mais ils n’abandonnent pas: avec leurs capitaux ils vont industrialiser la campagne.

L’industrialisation de la campagne
La prolifération des banques s’est développée parallèlement au développement des centres-villes et à l’émancipation des paysans. Dans les centres-villes, des guildes commerciales apparaissaient qui établissaient les salaires fixés par la loi, la qualité de la production, les règles du commerce. Les banquiers sont devenus une partie de cette réalité, devenant au fil du temps une composante importante de l’économie de la ville. Soutenant (et parfois même dépassant) les corporations, ils soutinrent économiquement les manufactures locales, favorisant leur expansion dans la campagne environnante.

Ils leur offraient cette grande provision de bras de travail habitués à la houe mais aussi au tissage: les paysans qui ont toujours tissé leurs vêtements étaient la main-d’œuvre idéale à exploiter avec de bas salaires. La réglementation des arts fixe les droits des travailleurs, protège les salaires minima et assure, dans certains cas, une aide pour la maladie et la vieillesse. Avec le lent déclin des guildes artisanales et la consolidation du pouvoir bancaire, tout cela a disparu dans le nouveau système de fabrication. Il n’y avait aucune autorité ou association entre l’employeur et le travailleur. L’un acheté, l’autre vendu: le prix était «libre», c’est-à-dire le plus fort.

De nouvelles industries se sont ouvertes en pleine campagne: les mines autrichiennes, le «nouveau tissage» en Flandre, en Angleterre; aussi l’arazzéria est devenue une manufacture paysanne. L’industrie de la ville a survécu pour le marché local mais « tout le nouveau développement industriel après le XVème siècle arrive … en dehors de celui-ci ».

La faveur des principes
En plus d’intervenir activement dans le développement des produits manufacturés, les banquiers étaient parfaitement intégrés dans la noblesse locale, souvent dans le besoin de prêts et de faveurs économiques. Le résultat a été une collaboration durable et fructueuse pour les deux parties. Par exemple, le Fugger d’Augusta a obtenu des Habsbourg l’exploitation des mines d’argent où ils ont utilisé la force de travail des paysans, avec leur or ils ont financé l’élection de Charles V à l’empereur, ils ont obtenu du pape Léon X le contrat pour la vente d’indulgences; Giacomo Cœur, un magnat de la France du XVe siècle, a obtenu l’octroi de pièces de monnaie par Charles VII, engrangeant d’énormes profits.

Un nouveau pouvoir est né, le premier signe du capitalisme tel que conçu aujourd’hui.

« A présent les grandes puissances européennes ne sont plus représentées par des souverains ou des princes, qui compte, qui peut rendre une paix ou une guerre possible ou impossible, qui élit les empereurs et finance les armées est un groupe de nouveaux personnages, les capitalistes, les modernes les hommes d’affaires.  »

«Protégé par les souverains, le capital met en échange ses ressources et ses crédits, grâce auxquels les souverains peuvent se passer de recourir aux assemblées des États pour avoir les moyens de faire la guerre: leurs banquiers les libèrent du douloureux contrôle de leur La longue lutte entre Charles V et François Ier serait incompréhensible sans le concours de la haute finance: les Fugger et bien d’autres maisons d’Anvers ne cessèrent pas, tout au long du règne de l’empereur, de lui prêter des sommes colossales qu’il dévora [et qui lui coûtèrent des centaines de milliers de ducats d’intérêt] »

«Entre 1555 et 1557, les seules Affaitadas de Crémone prêtent au roi d’Espagne pas moins de 200 000 écus, et plusieurs millions de ducats prêtent immédiatement les Centurions de Gênes.»

Le soutien de la noblesse aux banquiers écrasait ce qui restait des guildes artisanales et des petites industries de la ville qui «ne peuvent plus lutter à armes égales contre ces hommes qui ont partout leurs agents, thésauriser, monopoliser, soutenir les nouvelles forces politiques».

Liberté mercantile
Ceux qui se sont enrichis de découvertes géographiques n’étaient pas l’Espagne et le Portugal mais les fournisseurs et créanciers étrangers de leurs maisons dirigeantes: Anvers devint la grande réserve de capitaux à laquelle les souverains furent contraints de recourir. Dans le même temps, la prédominance sur les mers s’est déplacée de la Méditerranée vers l’Atlantique. «Ni Cadix ni Lisbonne n’étaient les héritiers de Venise et de Gênes. L’hégémonie commerciale dont ils jouissaient jusqu’alors passait à Anvers» (H. Pirenne op.cit ibidem) qui devint un grand port franc et international, libre de droits de douanes , les obstacles du monopole commercial. Les navires arrivèrent dans son port chargés de marchandises et, après la découverte de l’Amérique, d’épices et de minéraux précieux, et de là ils partirent avec des prises complètes. En effet, à Anvers, également favorisée par sa position géographique, les hommes et les capitaux coulaient de tous les côtés, assurant le développement maximum des échanges.

«A Venise, les marchands qui venaient aux foires ne pouvaient pas l’acheter chez les Vénitiens, à Bruges, ils ont dû recourir à un médiateur appartenant à la bourgeoisie, ici rien de semblable: pas de surveillance, pas de contrôle.

Les hommes d’affaires se réunissaient dans la ville, fixaient les prix et risquaient leurs capitaux: la spéculation avait pris pour la première fois un aspect officiel. Un bâtiment particulier a été construit aux dépens de la ville, où le capital a été investi sous sa galerie et le capital investi: la Bourse (1531) a été créée comme un précurseur et un modèle de ceux de Londres et d’Amsterdam.

Le nouveau sens de la ville
« Pour le bourgeois moderne, la ville n’est que le lieu de résidence et un centre d’affaires, non plus le centre de ses affections, de ses idées, de ses intérêts. »

L’habitant des villes médiévales était étroitement lié à la ville, ses idées et son existence même étaient liées au parti municipal auquel il appartenait. Dans les seigneuries, les habitants dépendaient des désirs du seigneur qui décidait de leurs fortunes et de leurs fortunes. La ville était presque l’extension de son palais, il a contribué à l’embellir avec des œuvres d’art et des services, car tout cela a montré son pouvoir.

Pour l’habitant des communautés nordiques, la ville était simplement l’endroit où il résidait, s’il était un industriel, ses intérêts étaient dans les manufactures du pays, s’il était marchand, son affaire était répandue en Europe, s’il vivait son loyer l’argent qu’ils étaient dans les entreprises ou dans les prêts aux princes. En tout cas, il s’est rendu compte que son argent était lié à la politique internationale et devait donc être informé de ce qui se passait dans le monde. Il commença à développer le courrier et bientôt la presse le tiendra au courant de toutes les nouvelles qui ont été précédemment transmises seulement avec la correspondance privée.

Faillite espagnole
L’Espagne, en dépit de ses galions apportant des richesses des Amériques, s’est retrouvée en faillite. Sa classe dirigeante était parasitaire et improductive, composée d’hidalgo qui aspirait à devenir de grands prélats ou de grands officiers de l’armée royale, et ne prenait pas la peine de profiter de l’immense richesse disponible, dont une bonne partie était déjà perdue dans les méandres corrompus de l’administration bureaucratique. La noblesse au pouvoir méprisait les activités productives, afin de chasser les morisques et les marranes, les Maures et les Juifs, qui étaient aussi les seuls à traiter l’agriculture et le marché.

La couronne d’Espagne continua à s’endetter pendant tout le siècle avec les banquiers allemands et italiens, surtout génois, jusqu’à l’inévitable banqueroute qui marqua la chute de la petite et moyenne capitalisation. Au-delà, il y a eu une répercussion sur l’ensemble de l’économie européenne. En fait, les minéraux précieux, qui s’étaient répandus dans toute l’Europe depuis l’Espagne, avaient inévitablement conduit à des hausses de prix. La circulation abondante des métaux précieux, surtout de l’argent, avait causé sa dépréciation qui, à son tour, diminuait la valeur de l’argent. En conséquence, depuis que la valeur de l’argent a diminué, le prix des biens a augmenté.

Cet état de choses a d’abord porté préjudice aux banquiers génois qui avaient prêté de l’argent à des princes étrangers et reçu des intérêts de plus en plus dépréciés s’ils les recevaient. Même les propriétaires fonciers nobles se sont trouvés dans la grande difficulté d’ajuster leurs concessions à long terme à l’inflation croissante. En pratique, dans toute l’Europe occidentale, la banqueroute espagnole était la ruine de la noblesse foncière qui avait longtemps donné la terre aux paysans pour de petites sommes préétablies. Au lieu de cela, c’est la chance des petits agriculteurs qui se sont libérés des liens serviles et se sont enrichis avec les prix croissants des céréales.

En Europe de l’Est, en revanche, un important producteur de céréales, dont les propriétés n’avaient jamais été transmises aux agriculteurs, les prix croissants du blé augmentèrent la fortune des propriétaires. Ceux-ci ont poussé la production en pressant les fermiers et en les réduisant de plus en plus à une condition servile.

La bourgeoisie capitaliste et la noblesse
La révolution des prix affaiblissait la noblesse qui continuait à jouir de privilèges qui ne se justifiaient plus: de la classe politique qui jouait auparavant un rôle social, elle n’était plus qu’un parasite de la société active, élément privilégié maintenant prêt à être supprimé.

Mais la nouvelle bourgeoisie, née avec le capitalisme, qui avait aussi toutes les qualités de bon sens et d’esprit pratique pour exercer la gestion directe du pouvoir, n’était pas encore prête à supprimer les privilèges de la noblesse. Vice versa, il est parti à la recherche de titres qui anoblissaient sa richesse acquise. Il se faisait passer pour une classe noble, croyant que le pouvoir appartenait de droit et par la grâce de Dieu à la noblesse. Dans la France de Richelieu, la bourgeoisie a acquis des fonctions publiques et des honneurs. Ils achetèrent des fiefs et des armoiries aux nobles brisés. Comme même les comédies théâtrales de la fin du dix-septième siècle rapportent que les manies de la bourgeoisie prospère se multiplient, mais intelligentes et intelligentes dans leurs affaires, elles perdent la tête, se ridiculisent pour se rapporter à des familles nobles malheureuses et décrépites.

La bourgeoisie capitaliste de l’Europe continentale doit encore faire un voyage de plus d’un siècle pour conquérir le pouvoir. Seulement en Angleterre de la Deuxième Révolution (1688 – 1689), les forces parlementaires bourgeoises et puritaines, qui croyaient au caractère sacré du travail et du profit, auraient marginalisé la noblesse et assumé la gestion directe de la politique et de l’économie. Les bases furent alors posées pour le début de la révolution industrielle, point d’arrivée de l’industrialisation des campagnes commencées des siècles plus tôt par les capitalistes issus de la Renaissance européenne du Nord.