Romantisme français précoce

Romantisme français se réfère à l’ère romantique dans la littérature et l’art français de la seconde moitié du 18ème siècle à la première moitié du 19ème siècle. Le romantisme français a utilisé des formes telles que le roman historique, la romance, le roman noir ou roman gothique; des sujets comme les mythes traditionnels (y compris le mythe du héros romantique), le nationalisme, le monde naturel (c’est-à-dire les élégies par les lacs) et l’homme ordinaire; et les styles du lyrisme, du sentimentalisme, de l’exotisme et de l’orientalisme. Les influences étrangères y ont joué un grand rôle, en particulier celles de Shakespeare, de Sir Walter Scott, de Byron, de Goethe et de Friedrich Schiller. Le romantisme français avait des idéaux diamétralement opposés au classicisme français et aux unités classiques, mais il pouvait aussi exprimer une perte profonde pour certains aspects du monde pré-révolutionnaire dans une société désormais dominée par l’argent et la gloire, plutôt que par l’honneur.

Les idées clés du début du romantisme français:

«Le vague des passions» (l’imprécision, l’incertitude du sentiment et de la passion): Chateaubriand soutenait que, si l’imagination était riche, le monde était froid et vide, et la civilisation n’avait fait que priver les hommes de leurs illusions; néanmoins, une notion de sentiment et de passion continuait à hanter les hommes.
« Le mal du siècle »: un sentiment de perte, de désillusion et d’aporie, caractérisé par la mélancolie et la lassitude.
Le romantisme en Angleterre et en Allemagne est largement antérieur au romantisme français, bien qu’il y ait eu une sorte de «pré-romantisme» dans les œuvres de Senancour et de Jean-Jacques Rousseau (entre autres) à la fin du XVIIIe siècle. Le romantisme français prit une forme définie dans les œuvres de François-René de Chateaubriand et de Benjamin Constant et dans l’interprétation de l’Allemagne de Madame de Staël comme la terre des idéaux romantiques. Il a trouvé l’expression tôt dans la poésie sentimentale d’Alphonse de Lamartine.

Les grandes batailles du romantisme en France étaient au théâtre. Les premières années du siècle ont été marquées par un renouveau du classicisme et des tragédies d’inspiration classique, souvent avec des thèmes de sacrifice national ou d’héroïsme patriotique en accord avec l’esprit de la Révolution, mais la production de Hernani de Victor Hugo en 1830 a marqué le triomphe le mouvement romantique sur scène (une description de la nuit d’ouverture turbulente peut être trouvée dans Théophile Gautier). Les unités dramatiques du temps et du lieu ont été abolies, des éléments tragiques et comiques sont apparus ensemble et la liberté métrique a été gagnée. Marqués par les pièces de Friedrich Schiller, les romantiques choisissaient souvent des sujets de périodes historiques (la Renaissance française, le règne de Louis XIII de France) et des personnages nobles condamnés (princes rebelles et hors la loi) ou des artistes mal compris (la vie de Vigny). Thomas Chatterton).

Victor Hugo était le génie exceptionnel de l’école romantique et son chef reconnu. Il était prolifique dans la poésie, le théâtre et la fiction. Les autres écrivains associés au mouvement sont l’austère et pessimiste Alfred de Vigny, Théophile Gautier, passionné de beauté et créateur du mouvement «Art pour l’art», et Alfred de Musset, qui incarne le mieux la mélancolie romantique. Tous trois ont également écrit des romans et des nouvelles, et Musset a remporté un succès tardif avec ses pièces. Alexandre Dumas, père a écrit Les Trois Mousquetaires et d’autres romans romantiques dans un cadre historique. Prosper Mérimée et Charles Nodier étaient des maîtres de la fiction plus courte. Charles Augustin Sainte-Beuve, un critique littéraire, a montré une ouverture romantique dans son hospitalité à toutes les idées et dans son effort infaillible pour comprendre et interpréter les auteurs plutôt que de les juger.

Le romantisme est associé à de nombreux salons et groupes littéraires: l’Arsenal (formé autour de Charles Nodier à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris de 1824-1844 où Nodier était administrateur), le Cénacle (formé autour de Nodier, puis Hugo de 1823-1828), le salon de Louis Charles Delescluze, le salon d’Antoine (ou Antony) Deschamps, le salon de Madame de Staël.

Première période: Le préromantisme (1750-1800)

Querelle des Anciens et des Modernes – Les drames de Diderot
La révolte contre l’imitation de l’antiquité a commencé à la fin du xvii e siècle par la Querelle des Anciens et des Modernes. Perrault, La Motte et Fontenelle avaient porté un dur coup à la tragédie classique. Mais le vrai démolisseur des règles sur lesquelles elle s’est reposée est Diderot. Il se rebelle contre les prescriptions d’Aristote et d’Horace et contre les modèles classiques. Nos tragédies sont, à ses yeux, artificielles et fausses, contraires à la nature et à la vérité. Les sujets empruntés à la vie des grands, au lieu d’être bourgeois, ne nous intéressent pas. L’action est invraisemblable, car la peinture des crimes énormes et des manières barbares est hors saison dans un siècle doux et civilisé. Enfin, le langage est pompeux et déclamatoire, les costumes ridicules, la décoration absolument épouvantable. Le poète dramatique devra donc emmener ses sujets dans la vie domestique; il créera la tragédie bourgeoise qui ne différera de la comédie sérieuse que par un dénouement tragique, qui ne reposera pas sur des personnages mais sur des conditions, et qui ne montrera ni l’avare, le vain ou l’hypocrite, mais le marchand, le juge, le financier, le père d’une famille. Ce changement a conduit à d’autres: la prose substituée au vers comme un langage plus naturel, une plus grande variété dans le costume et le décor, plus de mouvement et d’action pathétique. Mais Diderot confondait trop souvent la nature avec son réalisme puéril; sous prétexte de moralité, il a donné un dialogue de sermon au lieu d’une action; enfin, sa sensibilité toujours effusive le jeta dans une manière larmoyante et ridicule. La double faillite du père de la famille (1757) et du fils naturel (1758) fut la condamnation de ces théories et le signal de la mort pour ses réformes.

Il faudra, pour amener en France une réaction radicale contre le classicisme, d’autres influences plus fortes et plus profondes. Il faudra une transformation complète des façons de penser et de sentir, qui était encore en germe au milieu du XVIIIe siècle.

La transformation des idées et des coutumes
Avant de connaître Clarissa Harlowe de l’anglais Richardson et Werther l’allemand Goethe, il a été écrit en France dans les romans du 18ème siècle, pour la plupart très pauvres et bientôt oubliés, mais cela montre que la vie et la peinture n’étaient pas seulement comme le xvii e siècle crois-le, analyse et raisonne; c’était aussi «écouter la voix du cœur», «goûter aux délices du sentiment», ressentir «la sensibilité d’un cœur aussi violent que tendre», chérir «le poison des passions qui dévorent», ou leur «triste». les douleurs qui ont leur charme, «se laissent prendre dans« la sombre mélancolie d’un séjour sauvage », se livrent aux« attractions du désespoir », et même« cherchent le repos tragique du néant ». Le Sidney de Gresset (1745), comme le Cleveland de l’Abbé Prévost ou son Doyen de Killerine (1735), sur leur destin aventureux de maladies incurables de l’âme sans raison ni remède, fonds secret de mélancolie et d’angoisse, un «besoin dévorant» « , une » absence d’un bien inconnu « , un vide, un désespoir qui les entraîne de l’ennui à la mélancolie et à la lassitude.

La nature même que nous aimons n’est plus la nature sage et ordonnée, sans exubérance ou imprévue. Le goût se développe à partir de la vraie nature avec ses caprices et même sa sauvagerie. Les randonneurs sont nombreux au 18ème siècle, pour le plaisir du plein air en premier lieu, mais aussi pour les joies de la contemplation poétique et sincère. Vous pouvez déjà goûter la lumière de la lune, le son de la corne dans les profondeurs des bois, les landes, les étangs et les ruines. Meudon, Montmorency, Fontainebleau deviennent l’asile des amants, le refuge des cœurs déçus et désespérés. Nous commençons à connaître une autre vie que celle des salons, et beaucoup de grandes âmes cherchent dans la nature «des conseils pour vivre, des forces pour souffrir, des asiles pour oublier». Vous ouvrez à être convaincu correspondance M lle de Lespinasse, de M me Houdetot ou la comtesse de Sabran.

Bientôt, même la France des plaines et des collines, la France de l’Île-de-France ne suffit plus. En Suisse et à la montagne, nous allons chercher des émotions fortes et de nouvelles sensations. A partir de 1750, un poème du Suisse Haller, les Alpes dont la traduction est très populaire, évoque des splendeurs ignorées ou inconnues. Nous commençons par les lacs de Genève, Bienne et Thoune et les altitudes moyennes; puis nous grimpons aux glaciers, nous affrontons les neiges éternelles. Nous allons chercher les exaltations les plus sublimes: «Les mots ne suffisent plus», écrit un voyageur, «et les métaphores sont impuissantes à faire ces bouleversements» Que les chœurs de nos cathédrales soient sourds au son des torrents qui tombent et des murmures Le jour où j’ai vu ce beau lac pour la première fois, c’était presque le dernier de mes jours, mon existence m’échappait, je mourais d’envie de sentir, de jouir; Je tombais dans l’annihilation.  »

Portées par ces influences, les propriétaires de parcs ou de maisons de campagne veulent à la maison d’autres décors. Bourgeois est le sage jardin d’Auteuil où le jardinier Antoine «dirige l’if et le chèvrefeuille» de Boileau et aligne ses espaliers; le somptueux ordre de Versailles et les parterres français des élèves de Le Nôtre sont très froids. Ce qui fait plaisir, au milieu du siècle, c’est la grâce libre et la fantaisie capricieuse des décors champêtres que Watteau et Lancret donnent comme toile de fond à leurs peintures et, après 1750, les rochers tourmentés, les torrents écumants, les tempêtes, les vagues furieuses, les naufrages, toutes les « sublimes horreurs » que l’on retrouve dans les tableaux de Claude Joseph Vernet, et que ses clients lui commandent: « une tempête très horrible », en veut un, et un autre: « cascades sur des eaux troublées, rochers, troncs d’arbres et un pays effrayant et sauvage.  »

Le retour au Moyen Âge
En même temps que le goût de la vraie nature ou embelli par les ruines, le goût du Moyen Âge et de nos antiquités nationales se développe. Grâce notamment au Comte de Tressan, qui donna en 1782 ses Extraits des romans de chevalerie, la mode vint aux troubadours et à la littérature « gauloise ». Les romances et les romans du «bon vieux temps» apportent aux âmes sensibles leur «courtoisie», leur «naïveté» et «les grâces de l’ancien langage». La Bibliothèque des romans et la Bibliothèque bleue fournissent à leurs lecteurs des extraits et des adaptations des quatre fils Aymon, Huon de Bordeaux, Amadis, Geneviève de Brabant et Jean de Paris. Villon et Charles d’Orléans étaient déjà tirés de l’oubli, le premier en 1723, le second en 1734. Marot, qui n’a jamais été oublié, jouit d’un renouveau de faveur. Les poèmes, histoires, romans et nouvelles sont remplis de chevaliers, de tournois, de palfreys et de demoiselles, de châteaux et de pages.

L’influence anglaise
Les influences étrangères ont été profondes sur ce mouvement pré-romantique, en particulier celui de l’Angleterre.

Les Anglais nous avaient fourni, par Voltaire et Montesquieu, avant 1760, les théories de la liberté politique et du gouvernement constitutionnel. Mais d’Holbach, Helvétius et les encyclopédistes ne tardèrent pas à dépasser Addison et Pope, et après 1760 le prestige de la philosophie et du libéralisme anglais avait diminué. L’Angleterre n’est plus, dans la seconde moitié du siècle, le pays de Richardson, Fielding, Young et Ossian. Les deux premiers, avant tout, conquièrent les âmes sensibles, et quand Diderot écrit d’un seul souffle, et dans le délire de l’enthousiasme, son Eloge de Richardson, il ne fait qu’exprimer avec éloquence ce que pensent tous les Français. Sans doute ni Clarisse ni les autres héroïnes anglaises ne sont des héroïnes romantiques, elles ne revendiquent pas les droits de la passion, elles ne souffrent pas du mal du siècle, mais elles sont passionnées même quand elles raisonnent et quand elles aiment ou résistent. l’amour, c’est de toute la force de leur être, de ceux dont le cœur brûle, le feu a gagné tous les cœurs français (Mornet).

Le théâtre anglais a été goûté avec le même zèle que les romans. Pourtant, Shakespeare était férocement discuté, Voltaire l’appelait fou, et Rivarol et La Harpe pensaient à peu près la même chose. Cependant, l’acteur Garrick, très à la mode, a joué en 1751 des fragments de Hamlet dans les salons et fait pleurer les spectateurs sur les amoureux de Vérone, le Roi Lear « errant au coeur des forêts » et « le coeur brisé d’Ophélie ». Traductions et imitations multipliées; Roméo et Juliette et Othello sont particulièrement devenus populaires.

Avec les drames de Shakespeare, c’est l’âme anglaise elle-même qui conquiert les âmes françaises, âmes sombres et sauvages, pleines de brouillard, de mystère et de spleen, mais profondes, et qui sait découvrir ce qui secoue fortement l’âme. l’imagination et jette l’âme dans une sorte de vague obscure et menaçante.

Quelques Français avaient déjà aimé cette paix solennelle des tombes et des morts; mais ils ne l’avaient chanté que timidement ou maladroitement. Ce sont les anglais Hervey, Gray et surtout Young qui mettent dans cette poésie sépulcrale les affres du désespoir et les sombres plaisirs d’un cœur las de tout. les Nuits des Jeunes, les méditations oratoires et les monologues prolixes où la rhétorique et l’artifice abondent, remportent un succès retentissant quand Le Tourneur le donne en 1769, traduction en prose plus emphatique, mais surtout plus sombre que les vers de l’original. On croyait que Young avait raconté sa propre histoire, et nous avons versé des larmes sur ce père qui, dans la nuit profonde, dans la lueur incertaine d’une lanterne, avait creusé de ses mains le tombeau de sa fille bien-aimée.

Grâce à ces influences et malgré les railleries de Voltaire, le « genre sombre » s’est créé peu à peu. Les héroïnes de Dorat et Colardeau, les romans et nouvelles de Baculard d’Arnaud (Les preuves de sentiments, les délices de l’homme sensible, les conjoints malheureux), les Méditations et l’homme sauvage de Louis-Sébastien Mercier sont pleins d’orages, funérailles, crânes et squelettes; au «chaos des éléments» se mêlent «la fureur de la folie, la frénésie du crime et la ruine de la repentance». « Mais les cris étaient des cris », a dit le héros d’un de ces romans; mes soupirs de rage, mes actions des attaques sur ma personne …  »

A cette mélancolie, à cette espèce sombre, il fallait une décoration convenable. C’est Macpherson qui l’a apporté. Dans les Poèmes d’Ossian, on retrouve les horizons et les dieux du Nord, les brumes légères et glacées, les tempêtes mêlées à la voix des torrents, aux vents sauvages et aux fantômes. Dans Ossian a prospéré toute cette littérature du Nord contient des visions funèbres et des splendeurs étranges. Et nous devons noter ici que nous n’avons pas distingué alors entre la Gaule, l’Irlande, l’Ecosse, le Danemark, la Norvège, entre les pays celtiques et les pays germaniques, et que nous admirions tous les « bardes », des druides gaéliques à ceux des sagas scandinaves .

Cet engouement pour la littérature étrangère était souvent, nous nous empressons de le dire, très prudent et mitigé. Le goût de l’obscurité, les « galimatias lugubres et sépulcrales » et les bardes mêmes d’Ossian ont été discutés, au moins jusqu’à la Révolution, et si l’on engage le « barbare » et le « sauvage », c’est à condition que ils étaient un peu léchés. Les traductions de Shakespeare par Le Tourneur, si elles étaient assez fidèles à la substance, corrigeaient ce qu’il appelait les «trivialités» et les «vulgarités» du style; et les adaptations de Ducis qui ont fait leur fortune ne sont souvent que des fausses et fausses contrefaçons. Rien ne restait même dans ses adaptations de ce que les drames de Diderotor Baculard avaient osé; Le mouchoir d’Othello n’est plus qu’une note, l’oreiller qui étrangle Desdemona n’est plus qu’un poignard, l’action se déroule dans vingt-quatre heures, comme le veut Aristote. Les traductions de Young, Ossian et Hervey par Le Touneur, qui a fait sa gloire, n’étaient guère plus que des mensonges adroits. Ils ne se contentent pas d’utiliser un style trop prudent; ils coupent, enlèvent, transposent, cousent; si bien que les horreurs sublimes et les beaux désordres qu’on y trouve ne sont que les effets d’un art très classique, plein d’esprit français. « (Mornet).

En vérité, Shakespeare, Young et Ossian, les Anglais, les Celtes et les Scandinaves, exerçaient en France un sentiment beaucoup moins profond que dans les pays germaniques. On les goûtait à la maison dans des traductions sucrées, et on les goûtait moins que les tendres idylles et les doux pâturages de Gessner, le «Théocrite allemand».

Influence allemande
Il semble que l’influence de l’Allemagne, où le mouvement romantique était si précoce et si bruyant, ait été ressentie très tôt en France. Ce n’est pas ainsi. L’Allemagne était généralement ignorée, voire méprisée avant 1760. Pour la plupart des Français, elle était le pays de Candide, le château de Thunder-ten-tronckh, des marécages puants, des barons stupides, de lourdes baronnes et des Cunégondes naïves. Voltaire, qui avait connu les Allemands, et qui pensait avoir des raisons de se plaindre, pensait qu’ils n’étaient que des rustres. Peu à peu, il est devenu clair que ce pays avait produit «de grands hommes»; Wieland fut d’abord adopté, mais ses œuvres ne rendirent aux Français que ce que les Français lui avaient prêté. Puis contact avec Klopstock et son Messiade; était connu Gellert et Hagedorn; on a trouvé que les Allemands étaient moins « rustiques » que « rustiques »; on admettait qu’ils étaient «naïfs», et par conséquent sensés et vertueux; La bonne nature allemande et la paix des villages ont été dégustés à l’ombre des tilleuls et des clochers.

Ce n’est qu’à la fin du siècle que Schiller et Goethe ont révélé une autre Allemagne, plus ardente et plus romantique. Les Brigands sont traduits; Werther tient immédiatement les Français sous le charme. Les traductions et les adaptations se succèdent de 1775 à 1795; vingt romans conduisent l’amour au suicide, ou du moins au désespoir de la vie, à l’horreur du destin. Les jeunes filles rêvent même de lire Werther, de le lire et de le faire tourner. La neurasthénie devient à la mode; nous nous donnons la mort par dégoût de la vie, comme ce jeune homme qui est venu se tuer d’un coup de pistolet dans le parc d’Ermenonville,

Jean-Jacques Rousseau
Ni l’influence anglaise, ni l’influence allemande, ni l’influence du moyen âge ne suffisent à expliquer le romantisme français. Une autre les éclipse, celle d’un génie qui, en les recueillant, leur a ajouté les richesses de sa puissante personnalité et conduit irrésistiblement notre littérature d’une manière nouvelle. Cet homme est Rousseau (1712-1778).

Il n’a pas découvert la littérature nordique; nous les connaissions avant lui. Mais, plus que tout autre, il a habitué les âmes françaises à se sentir un peu comme les Allemands et les Anglais, élargissant ainsi le champ encore limité de notre imagination.

Et surtout, il a imposé à notre littérature le sceau de son tempérament extraordinaire. Par là, lui seul a fait une révolution. Il réinstalla d’emblée le sentiment que, pendant plus d’un demi-siècle, régnait seulement l’intelligence. Chez lui, la littérature devient une effusion du cœur qui, longtemps, n’est plus qu’une expression de l’esprit. La poésie, l’éloquence, le lyrisme, pénètrent dans la prose même quand ils n’ont pas de place, même en vers. C’est un grand élargissement de l’horizon.

Fils d’un calviniste de Genève, élevé hors des influences monarchiques et catholiques, Rousseau croit instinctivement à la liberté et à l’égalité naturelles. D’un caractère indépendant, impatient de toute discipline, ennemi de toute tradition, il est exagérément individualiste. En perpétuelle révolte contre la société de son temps, il renverse toutes les barrières qui le contraignent. Et il défend d’autant plus ce soi, que son tempérament exige toutes les libertés et tous les plaisirs.

Il étend, selon sa propre expression, «son âme expansive» à tous les objets qui l’entourent, et projette son moi sur toute nature matérielle et morale. Il est lui-même la substance, l’occasion et la fin de ses écrits. Ce qui se dit surtout de sa Nouvelle Héloïse (1760), de son Émile (1762), de ses Confessions et de ses Rêveries (1782), c’est le drame intérieur de sa personnalité construit et affirmé, exalté ou perdu à travers le tumulte de son les passions et ses raisonnements, ses tentations et ses idées, ses rêves et ses expériences, toujours alarmés, toujours, tyrannisés par «le sentiment plus rapide que l’éclair». La raison est pour lui l’humble serviteur de la sensibilité, car il est sensuel à un degré rare, et c’est surtout ici qu’il se distingue de ses contemporains: «Au milieu des gens occupés, il devait jouir et souffrir. l’analyse à l’idée du sentiment, Rousseau, par son tempérament, a la réalité du sentiment, ceux qui dissertent, il vit (Lanson).

L’expression suprême de cette personnalité et de cette sensibilité le conduit naturellement au lyrisme, et c’est surtout par l’éloquence de ce lyrisme que Rousseau collabore à la révolution de la littérature. « Il a tellement bercé et ébranlé le vieux monde qu’il semble l’avoir tué sans cesser de le caresser Il s’est avéré être absurde et intoxiqué par des théories, des rêves, des déclamations séduisantes et des phrases qui étaient des strophes. ce philosophe qui était poète, ce magicien magicien, était avant tout un enchanteur dont les idées avaient sur les hommes la force qu’ont d’ordinaire les passions, parce qu’elles étaient toutes mêlées à une passion passionnée et passionnée.

Par tout cela, il est le vrai père du romantisme, beaucoup plus que ceux qui vont au-delà du Rhin et de la Manche. Toute la mélancolie de René, d’Obermann et de Lamartine découle de la sienne, et Musset ne la traduira que par les cris de sa passion.

Rousseau n’a pas seulement rouvert la source des larmes; il a attiré les regards de ses contemporains. Les tendances cristallisantes commencent à se manifester, il obligea les Français du XVIIIe siècle à mieux voir la nature qu’eux; il leur a appris à regarder le paysage avec tous ses accidents, ses perspectives et ses valeurs de tons, à le sentir, et à encadrer, pour ainsi dire, leurs sentiments dans l’univers. Dès lors, le drame de la vie humaine a son cadre, et c’est l’une des plus grandes découvertes de la sensibilité lyrique.

Il a détaillé dans leur pittoresque familiarité les maisons rurales avec leur laiterie, leur basse-cour, leur vie bruyante et joyeuse, les coqs qui chantent, les bœufs qui rugissent, les chars attelés. Il a souvent rêvé d’une petite maison blanche avec des volets verts avec des vaches, un potager, une source.

Il a magnifiquement dit à son siècle «la splendeur des levers, la sérénité pénétrante des nuits d’été, les plaisirs des grandes prairies, le mystère des grands bois sombres et silencieux, tout ce festival des yeux et des oreilles pour lequel» associer la lumière, le feuillage, les fleurs, les oiseaux, les insectes, les souffles d’air … Pour peindre les paysages, il a trouvé une précision des termes qui est celle d’un artiste amoureux de la réalité des choses. « (Lanson).

Il a découvert la Suisse française et les Alpes, les vallées profondes et les hautes montagnes. Le succès de Nouvelle Héloïse est celui du lac Léman; nous allons trouver des traces de Julie et de Saint-Preux, et nous suivons ceux de Rousseau lui-même à Clarens, Meillerie, Yverdon, Môtiers-Travers et le lac de Bienne.

Nous ne devons pas nous tromper sur les disciples de Rousseau. Il l’a eu tout de suite: Saint-Lambert et ses Saisons, Roucher et ses Mois, Delille avec ses Jardins, son Homme des Champs, ses Trois Royaumes de la Nature, Bernardin de Saint-Pierre surtout avec la Chaumière Indienne, Paul et Virginie et les Harmonies de la Nature, ont donné, depuis la fin du siècle, des variations sur certains des thèmes lancés par le maître. Mais la vraie postérité de Rousseau n’apparaîtra que quarante ans plus tard: ce sera le grand orchestre romantique. Les préoccupations des dernières années du 18ème siècle ne seront en effet pas les idées philosophiques et politiques, et le rugissement de la Révolution laissera dans l’ombre la spéculation littéraire. L’idéologue de Rousseau régnera avec Robespierre, mais le musicien de Rousseau ne chantera pas au moment de la guillotine.

Deuxième période: Chateaubriand et Germaine de Staël (1800-1820)

La littérature Révolution
L’époque révolutionnaire n’est pas, il est facile d’imaginer, une grande époque littéraire; les préoccupations des esprits allaient alors ailleurs qu’à la littérature; l’action a étouffé le rêve.

De plus, si la période révolutionnaire, à cause de la multiplicité des événements et de leur importance, semble immense, elle n’a duré que douze ans, et ce n’est pas en douze ans qu’une littérature se renouvelle. même quand elle a déjà donné des signes de transformation.

À l’exception de Marie-Joseph Chénier, l’auteur de Charles IX, la Révolution n’a pas de nom de poète à citer (les travaux d’André Chénier ne seront connus qu’en 1819).

La littérature de l’Empire
Sous l’Empire, Napoléon, qui ne considérait les poètes que comme les accessoires de sa gloire, nécessaire pour le chanter, chargea le grand maître de l’Université, M. de Fontanes (faciunt asinos, ils font des ânes, dit les mauvais plaisants), découvrez-le Corneille; mais seulement Luce de Lancival, auteur correct d’Hector, a été trouvée.

Alors que Goethe et Schiller illuminaient l’Allemagne, Byron révolutionnait littéralement l’Angleterre, tant de nouveaux horizons s’ouvraient parmi les nations voisines, la France ne pouvait montrer que des retards d’une période antérieure et de pâles décalques des maîtres: poètes, conteurs, anecdotes, semi-publics. des élégiaques comme Fontanes (le jour des morts à la campagne), Andrieux (le meunier de Sans-Souci), Arnault (Fables): au théâtre, les tragédies pseudo-classiques de Nepomucène Lemercier, Etienne de Jouy ou Raynouard.

Chateaubriand
Heureusement, en marge de la littérature officielle a vécu une autre littérature. Le courant venant de Rousseau n’était pas asséché, et ses jets, pour être intermittents, n’étaient que plus impétueux.

Chateaubriand (1768-1848) a publié à la fois Atala (1801), le Génie du Christianisme (1802), René (1802), Le Natchez, Les Martyrs (1809) la traduction du Paradis perdu de Milton, et ce fut une explosion magnifique d’imagination et de lyrisme. «Amant passionné de toutes les beautés, admirateur admirable des solitudes du Nouveau Monde, de l’Orient, de la Grèce, de Rome, de l’Italie, bien versé dans l’antiquité grecque et latine, lisant Homère avec délices, charme de Virgile, y compris l’instinct et l’intuition au Moyen Âge avec Dante et la Renaissance avec Pétrarque, surtout, mieux que quiconque, les vrais et solides classiques de la beauté du xvii e siècle, il est venu révéler à ses compatriotes un nouveau monde qu’est le monde entier »(Faguet ). Par son exemple, il les invite dans le Natchez (Amérique), dans la Route de Paris à Jérusalem (Est), dans les Martyrs (monde antique, monde celte, Germaniaprimitive), pour pénétrer la poésie des lieux et des temps les plus lointains et pour l’exprimer, en introduisant un art cosmopolite au lieu d’un art trop exclusivement national. Par son exemple encore, il les invite, à Atala, chez René, à puiser dans les sources profondes du cœur la vraie émotion, la mélancolie le plus souvent, car «aller au fond de tout», comme dit Germaine de Staël, c’est va à la peine « , mais surtout personnel, individuel, original, c’est-à-dire vraiment vivant. Pour ses leçons et enfin par ses théories esquissées dans le Génie du Christianisme, il a dit au 19ème siècle un siècle qui ouvrait quelque chose qui se résume ainsi: Malgré d’excellents génies et des œuvres admirables, que je sais goûter plus que n’importe qui d’autre , vos pères se sont trompés sur l’art littéraire pendant près de trois cents ans. Ils croyaient que la littérature devrait être impersonnelle et que l’auteur ne devrait pas apparaître dans son travail. Ils ont fait de grandes choses, mais ils auraient fait beaucoup plus sans cette discrétion singulière qui enlève au moins la moitié de l’œuvre d’art de ce qui est nécessaire. De plus, ils sont tombés dans d’étranges contradictions qui ont conduit à de graves erreurs. Les chrétiens et les français, dont ils s’abstenaient le plus, étaient les sujets chrétiens et les sujets nationaux, et ce qu’ils cherchaient le plus ardemment étaient les sujets mythologiques et les sujets anciens. Véritable aberration qui finit par assécher la littérature, faute de nourriture solide. Bon pour ça La matière immensée reste intacte et un immense chemin est ouvert. Consultez votre cœur, c’est là que peut être le génie: en tout cas, c’est la chose qui est en vous de la plus profonde et de la plus féconde; exprimez vos sentiments religieux, et ne croyez pas avec Boileau d’abord et Voltairethen, que le christianisme soit sans beauté; exprimez vos sentiments patriotiques; ne réprime pas ta sensibilité ou ton imagination, ce que tes pères ont fait; vous créerez une littérature personnelle et un nouvel art.

C’était la vérité, à part quelques réserves, et c’était une nouvelle lumière. L’épanchement était prodigieux; pas immédiatement, car, à vrai dire, l’influence de Chateaubriand ne se faisait sentir qu’aux environs de 1820; mais il s’est prolongé et a eu des conséquences immenses. La poésie se renouvelait, et pour la première fois en France il y avait de vrais poètes lyriques; l’étude de l’histoire se renouvela, et c’est en lisant chez les Martyrs la poésie sauvage et forte de Velleda et le combat des Francs qu’Augustin Thierry eut l’idée des Histoires mérovingiennes; le sentiment religieux se renouvelait, en ce sens qu’il n’était plus ridicule d’être religieux, et il était élégant de l’être; enfin, la critique se renouvela, en ce sens qu’elle ne consistait plus à signaler des fautes, mais à faire comprendre les beautés.

Tout cela, à Chateaubriand, s’exprimait de plus en plus dans un langage abondant, harmonieux, souple et pittoresque, réunissant tous les charmes, toutes les séductions et toutes les forces; dans une langue de poète d’un orateur et artiste. Il n’est donc pas surprenant que Chateaubriand, selon le mot Joubert, ait «ravi» le siècle.

Senancour
En 1804 paraissait l’Obermann de Senancour, roman par lettres, d’une tristesse vague et profonde, type parfait du roman romantique. L’auteur s’était représenté dans son héros «qui ne sait pas ce qu’il est, ce qu’il aime, ce qu’il veut, qui gémit sans cause qui désire sans objet, et qui ne voit rien sinon qu’il n’est pas à sa place, à il se traîne enfin dans le vide et dans un désordre infini de troubles. »Ce livre n’a pas eu de succès quand il est apparu; il a dû attendre pour être en vogue que le mal d’Obermann était devenu le « mal du siècle » et que les romantiques sont plus susceptibles de trouver dans la peinture de cette âme défaillante et cet esprit faible l’expression de l’inertie désespérée qu’ils senti en eux.

Mme De Stael
Plus immédiat et décisif sur le travail de rénovation commencé a été l’influence de Germaine de Staël.

Alors, forcée par l’hostilité de Napoléon à vivre hors de France, elle fit un long séjour en Allemagne, et là un art particulier lui fut révélé, dont elle était trop amoureuse, mais dont certaines parties au moins répondaient bien au besoin que La France connaît un renouveau de l’art littéraire.

En France, la vie sociale avait affiné les talents et les sentiments, mais effacé l’individualité.Les auteurs ont écrit selon des règles traditionnelles, pour être compris immédiatement par un public habitué à ces règles. Ainsi, les écrivains français n’ont excellé que dans les genres qui se proposent l’imitation des mœurs de la société, ou dans ceux dont l’intelligence aiguisée par l’esprit de la société peut goûter la finesse seule: poésie descriptive ou dialectique, poésie légère qui sourit et se moque.

Les Allemands, au contraire, ont une poésie personnelle et intime, qui est l’expression d’affections vives et profondes. Rien de conventionnel ou amorcé à la maison; mais le sentiment, la poésie, la rêverie, le lyrisme, le mysticisme lui-même, qui leur donne une littérature originale, naïve et personnelle, très philosophique, très profonde et très sérieuse.

Tout cela, dont elle était ravie, elle recommandait comme la littérature du futur, partageant un peu sommairement tout l’empire des lettres dans deux provinces: d’une part le classicisme, qui est l’antiquité et l’imitation de l’antiquité; de l’autre, le romantisme, qui est le christianisme, le moyen âge et l’inspiration nordique.

Il y avait loin de ces idées assez vagues et quelque peu étroites aux idées larges et lumineuses de Chateaubriand; pourtant ils aidaient à élargir l’horizon, ils tournaient la tête et regardaient de l’autre côté du Rhin, comme Chateaubriand les avait fait traverser la Manche. « La littérature doit devenir européenne », proclame-t-elle. et si les écrivains français avaient fréquenté les Italiens, les Espagnols et les Anglais, c’était une nouvelle habitude de commercer avec les Allemands, et il fallait les avertir qu’elle devait être prise. C’est surtout cet avertissement que Germaine de Staël donne avec insistance, avec feu, avec ardeur, et avec un talent incomparable dans son livre intitulé De l’Allemagne (1810).